Trois jours après être rentré, je ressens un mélange d’amertume, de soulagement et de joie. La tête à l’envers, enveloppée du froid de décembre, j’essaie de me remettre de cette compression temporelle de 3 mois et quelques jours. On pourrait vivre une vie entière en 3 mois comme ne pas vivre grand-chose en 30 ans. Tout est tellement relatif, interdépendant, c’est difficile de fixer quelque chose. Ce que l’on voit et ce que l’on vit ne dépend que de la manière dont on les appréhende. Je retrouve le vieux bureau en bois de mon studio bruxellois et j’y écris la fin de mes carnets de voyage en commençant par ceci : « Le voyage ne requiert pas trop d’organisation. Lorsque tout est prévu, on perd le goût ce qu’on va vivre, le goût de l’extraordinaire! Ce qu’on vit de fort dépend de la surprise de l’instant et de l’abandon de soi-même à ce qui nous arrive. Plus on s’abandonne, plus on ouvre son cœur et ses yeux. Quand on résiste, en s’accrochant à un plan de voyage, on souffre. Rien ne se passe jamais comme prévu, donc on court après quelque chose qui n’existe que dans notre tête. On perd toute son énergie vitale et créatrice à essayer de redresser une courbe qui ne pourra jamais être droite… ». C’est étrange comme la vie ressemble au voyage. C’est la première fois que j’essaie de poursuivre un but en voyageant. D’habitude, je me laisse bercer aux rythmes des rencontres et des pays, et c’est ce que j’aime. Dès qu’un but précis s’insère, le charme est rompu. Mais le beau la dedans, c’est que je voyageais aussi pour ramener des sons, un documentaire, un clip et un album. Peut-être un peu trop poids sur mes épaules de « backpacker ». C’est promis ! La prochaine fois que je pars, c’est sans ordi, sans caméra et sans guitare ! « Quel est ton meilleur souvenir, quelle est ta destination coup de cœur … ? » sont les deux questions principales auxquelles j’ai droit en rentrant. Je ne m’attendais pas à recevoir toujours les mêmes questions. De plus, je n’ai pas vraiment de réponses claires. Quand on revient d’un long voyage, tout se mêle, comme dans un rêve qu’on n’est plus sûr d’avoir vécu. C’est étrange de revenir et de ne pas comprendre ce que l’on ressent tellement on est déboussolé. Mon cœur, je l’ai mis dans ce projet qui m’est chère. J’ai eu des moments forts et des grandes déceptions… Dois-je parler de mes attentes et de mon sentiment de ne pas les avoir atteintes. J’ai l’impression, depuis que je suis rentré, que c’est un autre qui a vécu cette aventure. Qui a couru 3 mois de pays en pays, à la poursuite d’un objectif, de la gestion des plannings, des répétitions, des concerts, des interviews, des captations vidéos, de la gestion du budget, de la location des studios, des publications sur les réseaux sociaux, des prochaines destinations, … J’aurai voulu profiter plus mais il y a aussi les bonnes choses ! Je ne devrais peut-être parler que de ça mais ce ne serait pas la vérité, ce ne serait pas moi. Car c’est l‘insatisfaction qui me donne toujours l’envie d’aller plus loin avec la musique. Je réalise après. Lâcher prise et ne pas trop me projeter. Je le sais. Alors j’écris pour réaliser ce qui m’arrive. Comme je l’ai noté dans mon carnet en approchant de l’île Holbox au Mexique: « écrire c’est poser l’esprit… » Mon corps est épuisé et mon esprit lié à lui à tendance à glisser. Je me sens déraciné comme un arbre mais mes branches sont plus grandes et pourront porter peut-être de meilleurs fruits, de meilleures chansons. Sinon à quoi bon tout ça, à quoi bon cette tentative de vous offrir le monde avec une seule chanson. A quoi bon courir après des artistes qui ne parlent pas ma langue, à quoi bon espérer montrer que les langues et les cultures ne sont pas un frein mais un tremplin. Un pont vers les autres et vers nous-mêmes... J’espère que ma musique fera elle aussi le tour du monde, qu’elle créera des ponts entre les gens … et qu’elle vous plaira!
MERCI !!! Je remercie tous les artistes que j’ai rencontré, merci d’avoir trituré mes chansons, de les avoir chantées, d’avoir cru en cette folle aventure autour du monde ! Merci Ian Kelly, Ariane Brunet, Roxana Rio, le groupe Ocean’s Acoustic, le Taiwan Bamboo Orchestra, Leo Lee et Danny Sun, Saantur Medah, Akili Gnouma et tous les studios et techniciens qui nous ont accueillis ! Merci à tous les Kissbankers qui ont lancé cette aventure en juin 2016 ! Merci à Susan, mon amour, qui me soutient depuis le début et qui a porté le projet autour du monde ! Merci à Catherine Pizzol, qui a été de bons conseils et un lien permanent entre les médias belges et cette aventure. Merci à Vivacité d’avoir suivi l’aventure chaque semaine et de l’avoir transmise aux auditeurs belges ! Merci à tous ceux qui nous ont hébergés ou qui nous ont proposé des concerts, l’Auberge international du Vieux Montréal au Québec, et Barry and Gabriela à Taipei. Merci aux Bureau International de Jeunesse (BIJ), à Spirlet Verviers Automobiles, à Agora Bruxelles et aux différentes entreprises de nous avoir soutenues ! Merci au Centre Culturel de Jupille d’avoir pris le risque de m’aider à produire le premier fruit de cette aventure ce 25 février 2017 !!!
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16-12-2016 - Il reste un jour. Une longue journée pour enregistrer la voix d’Akilignouma et le morceau qu’on a créé ensemble, répéter avec lui et faire ce dernier concert au Foyer de l’Atelier de Théâtre Burkinabé à Ouagadougou. On se lève tôt et à notre grande surprise, Akili aussi. On descend dans le petit jardin de l’hôtel et on l’aperçoit assis à une table avec son N’Gonie et un café noir. Je lui explique brièvement la journée chargée qu’on va avoir avant de prendre notre vol pour rentrer chez nous à une heure du matin. On doit aussi se trouver une valise pour mettre tous les cadeaux et les instruments qu’on a acheté pour les kissbankers qui ont soutenu l’aventure lors d’un crowfunding 6 mois plus tôt. Susan s’occupe d’acheter une valise pendant que je répète pour le concert du soir avec Akili. Elle revient triomphante avec une jolie petite valise rouge qu’elle a dégotée à bas prix. Elle me dit qu’elle est neuve et on en reste persuadé jusqu’à ce qu’on trouve à l’intérieur une étiquette avec le nom d’une anglaise qui devait en être la propriétaire. Encore une arnaque de plus, on se demande si comme nous, cette brave fille avait perdu sa valise en descendant de l’avion… En attendant, sa valise est plus que pleine, de flûtes, de maracas, de masques africains, d’un mini-balafon,… On finit la répétition et on se met en route directement pour le studio d’Ibrahim Keita, le Faso Jam Records qui nous accueille un peu à l’improviste et qui pour une fois n’essaye pas de nous arnaquer avec des tarifs énormes. Ibrahim me répond simplement : « Quand il y a de l’argent je prends, s’il n’y en a pas ce n’est pas grave, mon studio est le tien jusque 17h, utilise tout le matériel dont tu as besoin ». Il finit sa phrase en me donnant son dernier album. Le Paradis : le meilleur studio que j’ai vu en Afrique, en échange d’un sourire, un vrai cadeau de départ ! Je m’installe derrière mon ordi après avoir placé mon petit micro de voyage devant Akili qui ne veut pas se départir de son énorme doudoune. Il me certifie qu’il la porte toujours lorsqu’il chante en studio. Je le laisse transpirer avec les 35 degrés ambiants. Il a l’habitude de ce lieu car il y a enregistré son premier album l’année passée. Sa voix arrachée colle parfaitement avec « Humans ». Il a bossé le morceau avec mon casque sur la tête toute la nuit. Après une dizaine de prise, on passe au morceau « Africa » qui résonne déjà dans nos têtes. Même si on l’a créé seulement deux jours plus tôt en faisant une jam sur la terrasse de l’hôtel. Ce morceau rassemble mes premières impressions sur l’Afrique de l’Ouest. J’enregistre une guitare et une voix témoin puis Akili pose son N’gonie puis sa voix. On termine presque pile à l’heure pour reprendre la route vers le lieu de concert où on est attendu à 18h pour le soundcheck. On trouve le temps de faire signer la guitare du Tour du Monde en Musique sur le bord de la route. Pendant la signature, une fille tombe de sa moto parce qu’elle a détourné le regard deux secondes pour tenter de comprendre ce qu’on fabriquait arrêter sur cette route en terre rouge, en face d’un sublime coucher de soleil avec un marqueur indélébile et une guitare déposée sur un djembé. J’aurai voulu avoir une photo de nos gueules sur ces mobylettes en fin de vie, harnachés d’une guitare, d’un djembé, d’un N’gonie et de deux gros sac à dos. C’est l’aventure, on ne pense à tous ces détails qu’après coup. Un policier vient nous sommer une dernière fois de quitter les lieux suite à l’accident. La fille n’a pas l’air trop amochée, juste une petite chute sur de la terre. Elle repart déjà, on n’a même pas le temps de s’excuser. Akili m’avoue qu’il y a beaucoup d’accident ici et que d’habitude, ils sont beaucoup plus graves. On reprend la route vers le Foyer de l’ATB et une fois sur place je me souviens de l’urgence de réaliser l’interview d’Akili pour la réalisation du futur documentaire. Sans même saluer l’organisatrice et l’ingé son, j’installe une chaise et mon enregistreur sur la scène pour poser mes questions à Akili dans l’empressement et dans la lumière jaune orange d’une journée qui s’achève. Aliki parle comme un vieux sage. Il prend son temps pour expliquer tous les rouages qui l’ont mené à faire de la musique. Au Burkina, c’est souvent des familles de griots. Parce que le père était musicien, le fils reprend le flambeau. Akili m’explique pourquoi il fait de la musique : il faut envoyer de « bons messages » aux gens. Je me dis en l’écoutant que c’est magnifique de savoir pourquoi on fait son métier. Et savoir ce que cela apporte aux autres. C’est le cœur même de ce que nous sommes : « Humans ». Et c’est la nouvelle chanson que je chante avec Akili pour la dernière fois en Afrique de l’Ouest. Le concert terminé on remballe rapidement et on file à l’hôtel récupérer les bagages. Akili a l’air sûr de pouvoir tout mettre sur les deux motos. Je lui souris tout en me dirigeant vers la réception pour appeler un taxi. Le but n’est pas de mourir en Afrique 2h avant l’avion. Akili a l’air d’accord et il nous raccompagne à l’aéroport. Juste avant de nous quitter, il me tend la N’Gonie qu’il a fabriqué pour moi et y accroche la sangle multicolore qui était sur son propre instrument. Moment magique d’adieux. Il a l’air persuadé que je vais revenir faire des concerts avec lui une fois par mois. Je lui fais cadeau du casque audio qu’il n’a pas lâché depuis l’enregistrement et lui tend la carte de mon téléphone pour qu’il puisse nous appeler de temps en temps en Belgique. J’aime cette sensation de savoir qu’on s’est fait un ami, une personne qui nous a ouvert son cœur et son « bon » esprit. (Akili – esprit/ Gnouma – Bon). On quitte l’Afrique avec l’image de son visage parsemé de longues tresses noires dans la tête. On plane un peu mais la crainte que Susan soit refusée à la frontière à cause de son passeport mexicain nous ramène par moment sur terre. Ouaga 38 degrés – Alger 11 degrés – Bruxelles 5 degrés. On est vite dans le froid du plat pays. On prend une photo pour boucler la boucle à l’aéroport de Zaventem. Aéroport où 9 mois plus tôt, 3 pauvres bougres ont ramené des bombes, nous on revient avec des chansons et un message positif pour le monde : « We are Humans, We can make a better world ». C’est la phrase qui me trotte en tête depuis 3 mois et qui a été chantée par tous les artistes du Tour du monde en Musique. C’est, à côté de l’album, la deuxième raison de ce Tour du Monde. Il ne me reste plus qu’à me souvenir en sons et en images de ces voix, de ces autres cultures. Ces richesses qui sont sous nos yeux et que parfois dans un moment d’égarement ou de peur, on parvient à oublier dans des vies surchargées de stress et de choses inutiles. Je reviens aussi libérer d’un poids. Comme disait le voyageur Nicolas Bouvier « La vertu d’un voyage c’est de purger la vie avant de la garnir… » J’ai purgé la mienne en la remplissant d’autres habitudes, d’autres regards, d’autres rêves d’artistes d’un même monde.
10-12-16 – Dès notre arrivée à Ouagadougou, on rencontre Pathé, un guide local rencontré au Pavillon Vert. Je lui fais part de mon envie de rencontrer un auteur-compositeur-interprète local, et il m’emmène dans les Jardins de l’Amitié, où je fais la connaissance d’Akilignouma, un chanteur qui a comme moi sorti un premier album et qui se produit presque tous les soirs dans ce lieu culturel de Ouagadougou. Il m’invite pour une chanson avec lui sur scène. On boit quelques brakinas, on rigole beaucoup et on se promet à la fin de la soirée de se revoir deux jours plus tard pour préparer « Humans » et créer un morceau ensemble. A notre table, Susan discute avec Pathé, et on décide en fin de soirée pour oublier nos déboires et cette impression d’avoir bu le calice jusqu’à la lie dans le nord du pays, de se rendre dans la fameuse réserve sauvage de Nazinga où l’on peut apercevoir des éléphants. Je le fais pour Susan, un petit cadeau pour celle qui m’aide beaucoup dans ce projet et qui me suit dans cette aventure dans les bons comme dans les mauvais moments. Comme il n’y a aucun bus touristique et pas plus de touristes pour nous aider à partager le coût du transport et du guide, je décide de louer une 4x4 et les services de Pathé pour nous mener coûte que coûte à la réserve. On y rencontre le lendemain, des singes, des antilopes, des caïmans qui font la sieste et une maman éléphant. En quittant Nazinga, on aperçoit devant nous, à 200 mètres, une famille de 6 éléphants en train de traverser tranquillement la piste sur laquelle on doit passer. Le dernier mâle reste à proximité de la piste et pour tenter de nous éloigner, il charge deux fois sur nous avant de repartir dans la brousse. On doit accélérer en marche arrière pour lui échapper, en se demandant s’il va libérer la piste pour nous laisser passer. A part Pathé qui hurle « Fonce, non de dieu fonce ! », on reste calme. Il protège sa famille. Et après avoir vu sur la même piste, les autres véhicules remplis de chasseurs, je comprends sa réaction. La nature est tellement plus belle derrière l’objectif d’un appareil photo que derrière la lunette d’un fusil. J’ai réussi à le photographier en sortant un peu du véhicule mais je me suis fait rappeler à l’ordre par notre guide qui m’a supplié de rentrer à l’intérieur sachant que l’éléphant se cachait dans la brousse et qu’il pourrait surgir à tout moment. On quitte la réserve en ayant le sentiment d’avoir vécu quelque chose de fort. Un animal à l’état sauvage est complètement différent de celui qu’on drogue ou qu’on abrutit dans des zoos. J’espère que cette réserve continuera seulement d’exister pour protéger les animaux et qu’elle interdira bientôt l’accès aux chasseurs de tout poil. On est au 21 siècle, on n’a plus besoin de tuer pour se nourrir. Et tuer pour le plaisir devrait être interdit depuis longtemps… On se souviendra longtemps de cette journée qui se termine par un détour à Tiébélé, un village traditionnel Kasséna dans lequel chaque maison est une œuvre d’art décorée par les femmes du village. Même si elles sont repeintes chaque année, les maisons traditionnelles datent en moyenne de 400 ans… C’est dire leur solidité à toute épreuve. Elles ont une architecture étrange, sans porte, mais avec des ouvertures très basses et un petit muret juste derrière l’entrée qui protégeait des flèches. Quand un ennemi entrait sans y être invité, on lui coupait la tête car le seul moyen pour lui d’entrer dans la maison était de s’accroupir et de rentrer tête baissée en raison de l’ouverture haute de moins d’un mètre. On trouve le temps de monter sur un toit et de faire une petite capsule vidéo avec le morceau « Humans » que vous pouvez voir sur la chaîne Youtube. En repartant, sans le savoir, je photographie, un autel de sacrifice, on l’on voit trainer quelques plumes. Je me fais accuser sévèrement par un vieux du village qui me demande d’acheter deux poules pour les sacrifier et empêcher tout châtiment futur. On arrive à le convaincre avec Pathé qu’on ne voit pas très clairement l’autel sacré sur la photo… On s’empresse de quitter le village, et comme il n’y a que nous, la dizaine de marchands présents qui nous a cernés depuis notre arrivée se ruent littéralement sur nos âmes pour essayer de nous vendre tous les souvenirs du village. Vu l’afflux, on se sent un peu obligé d’acheter un souvenir et on repart avec une calebasse décorée comme les murs du village. Un souvenir qui nous permettra de nous rappeler ce petit village Kasséna au sud du Burkina et à la frontière du Ghana. On revient à Ouaga vers 21h, épuisé, juste l’énergie nécessaire pour prendre une douche froide afin d’enlever les kilos de terre rouge incrustés dans nos peaux. Le lendemain, j’ai rendez-vous avec Akilignouma à 10h pour travailler sur le single « Humans » et sur un nouveau morceau en vue de l’enregistrement de vendredi. Le temps se resserre et je me demande si je pourrai tout mener à bien. Akili arrive avec son N’Gonie qui est un instrument à cordes pincées en nylon qui résonnent dans une calebasse comme la Cora mais avec moins de cordes. On s’installe dans le jardin du Pavillon Vert, l’hôtel où on réside qui est calme et parfait pour travailler. On se lance rapidement dans une improvisation qui nous accapare pendant un bon quart d’heure et qui débouche sur le thème « Africa » qu’on se met à chanter ensemble. Akili improvise en Dioula, moi en anglais et en français. On termine le morceau en se prenant presque dans les bras… Akilignouma n’arrête pas de me faire des compliments, je suis limite gêné. Il a l’air conquis et moi aussi ! On se quitte en allant manger un plat local accompagné de tô, de légumes et de jus de bissap. En fin d’après-midi, Akili nous ramène à la gare des bus TCV. 6 heures de route nous attendent pour terminer ce qu’on a commencé à Bobo-Dioulasso. Enregistrer Issouf et son balafon et dire au revoir à la famille et aux quelques amis qu’on s’est fait sur place. Les jours passent vite et après le studio du lendemain, on se retrouve de nouveau dans le bus du retour qui nous ramène une dernier fois à Ouagadougou avant notre départ. Ça sent la fin, les adieux au pays des hommes intègres, à la chaleur, au bonjour quotidien, aux sourires généreux, aux enfants qui nous interpellent « Toubabou » et à tout ce que l’Afrique a pu laisser en nous de magique…
07/12/2016 - Avant le départ pour Kaya et la fête de l’indépendance du Burkina Faso, je passe une après-midi avec Issouf pour répéter ce qu’on va enregistrer sur mes chansons. De la flûte traditionnelle sur « Humans » et du balafon sur « la Route des cargos ». Il me montre aussi les accords qu’utilise Ali Farka Touré dans le célèbre morceau « Diaraby », sur l’album « Talking Timbuktu ». Les paroles sont en dioula aussi. Ce morceau sublime m’inspire une chanson en rentrant. Je chante une mélodie avec un ancien texte que j’avais gardé et qui s’appelle « Sur le bout de mes ailes ». C’est l’histoire de la fuite d’un amour, j’y intègre une partie du refrain en dioula de « Diaraby ». Issouf me rassure en me disant que c’est une très vieille chanson traditionnelle et qu’elle n’appartient pas à Ali Farka Touré. Issouf la chante en y ajoutant d’autres paroles, selon ce qu’il ressent sur le moment. Le lendemain, je joue à l’Institut Français de Bobo-Dioulasso. J’invite sur scène pour deux morceaux un percussionniste que j’ai rencontré dans la rue et qui m’a proposé de partager de la musique avec lui. Rétrospectivement, ce concert, qui n’était pas prévu et qui s’est organisé, comme beaucoup de choses en Afrique, à la dernière minute, est un des meilleurs concerts que j’ai donné là-bas. C’était une formule acoustique, proche du public qui me soutenait avec leurs mains, leurs danses, et leurs cris. Une chaleur qu’on ne trouve que là-bas ! Je reprends aussi « Je m’ suis fait tout p’tit » de Brassens pour la dizaine d’expatriés présents au concert. A la fin du show, je fais la rencontre d’un français d’une soixantaine d’année. Il vient me trouver et me dit qu’il a bien connu George Brassens. Il est de Sète, originaire de la même ville que lui. On parle de sa simplicité et du fait que, même célèbre, Brassens ne l’a jamais abandonnée. Il a gardé toute sa vie le même fil rouge qui était d’écrire ses chansons. La soirée est excellente et se termine en moto avec le percussionniste et son ami qui nous ramène chez nous par les chemins de terre rouge accidentés. Quatre heures de sommeil plus tard, on monte dans un vieux van Mercedes, sans banquette, rempli du toit au volant d’instruments et de matériel de sonorisation. Avec juste l’espace nécessaire pour y insérer quelques petites banquettes de bois contre le pourtour du véhicule. En embarquant, je me demande comment on va rester 10 heures assis dans cet endroit confiné pour atteindre le nord du pays. Après 10 minutes de route, Abel, un des musiciens me demande pour essayer ma guitare acoustique. On a joué et improvisé des chansons pendant presque tout le trajet qui aura duré finalement 16 heures, à cause des 3 crevaisons dues au mauvais était des pneus et au chargement non équilibré de la camionnette. L’aventure c’est l’aventure… On n’oubliera pas de sitôt ce trajet et l’arrivée dans le maquis (C’est ainsi qu’on appelle les bars au Burkina) de Kaya qui avait oublié de nous réserver un endroit pour dormir. Après le concert, à bout de force, on a dû choisir entre dormir par terre dans le bar ou sur une banquette de bois de 20 cm dans la camionnette… J’ai choisis la camionnette et l’odeur de poney qui régnait à l’intérieur. Me disant qu’au moins je n’aurai pas le bruit des derniers clients et les cafards qui me grimpent dessus. Après une nuit très courte et interrompue de profonds ronflements, on essaye de se mettre quelque chose sous la dent qui ne soit pas de la viande. Tous les musiciens se satisfont des fameuses brochettes d’agneau de Kaya. Etant végétarien, je me contente d’un café en poudre, d’un bout de pain et d’un morceau de chocolat fondu qui trainait dans le sac de Susan. L’estomac à moitié calé, on suit le groupe pour visiter la fameuse foire de Kaya et les différents podiums installés autour pour accueillir les musiciens. Saantur s’emballe au milieu de la balade, en nous disant qu’on est en zone rouge, que c’est dangereux pour les blancs ici et qu’on ne doit absolument pas s’éloigner du groupe. Deux semaines plus tôt, un couple de blancs a été enlevé par des islamistes et n’ont toujours pas été retrouvé. Toujours sympathique de ne pas avoir été prévenu avant d’arriver et de ne pas avoir pu choisir de risquer nos vies ou non. On passe devant le commissariat de police qui est cerné par la foule et par les militaires. Apparemment le président serait à l’intérieur. On nous regarde bizarrement partout où l’on passe. On finit par arriver à la foire où l’on s’arrête pour boire quelques calebasses de bière de mil. J’ai une interview avec Vivacité à 14h, et je m’aperçois qu’il n’y a aucun réseau dans la région, on m’informe qu’avec la venue du Président, les autorités ont coupé le réseau pour éviter que les terroristes puissent s’organiser et préparer un attentat. Finalement l’interview n’a pas lieu, la radio n’arrive à me joindre. A notre retour de la foire, la situation s’envenime, pas à cause des terroristes mais suite à une dispute avec Saantur. J’ai laissé couler son énervement de l’avant-midi suite à au danger potentiel à Kaya. Un ton agressif qui ne m’a pas plus et qu’il renouvelle dans l’après-midi pour une histoire de lit. Je sens que ma sinusite refait surface et me donne de violant maux de tête. Entendre un type qui hurle ou qui fait du bruit pour rien m’a toujours profondément énervé. Du coup, je lui dis de se calmer. Suite à ma remarque, il s’avance vers moi en cognant son doigt sur ma poitrine et me disant qu’il était arrivé malheur à ceux qui avaient essayé de le contredire. Là-dessus, voyant le potentiel dangereux de la situation, Jack le trompettiste s’interpose et tente de nous séparer. C’est là que je décide de tout arrêter et de changer de cap. Je lui dis que j’arrête tout, en me disant que j’aurai dû le faire bien avant. C’est étrange comme on essaye toujours de tout arranger une fois qu’on est lancé dans une organisation ou un projet commun, alors qu’il suffit de laisser tomber pour son propre bien. On est monté le lendemain matin dans le premier bus qui nous a permis de rejoindre le centre de Ouagadougou. Quel soulagement de redevenir un électron-libre et de ne plus dépendre de l’organisation foireuse de quelqu’un. Susan m’avoue le lendemain qu’elle a eu peur et qu’elle était au bord des larmes quand c’est arrivé, elle me rappelle aussi que Saantur est prof de Taekwondo. Dans toutes les situations, dans la musique comme dans les autres domaines, ce n’est jamais la technique de quelqu’un qui m’impressionne. A peine arrivé à Ouaga, tout rentre dans l’ordre. C’est comme si le destin nous remerciait d’avoir changé de route. A la fois effondré et soulagé de cette rupture, je me mets à rencontrer toutes les personnes susceptibles de m’aider dans mon projet. La situation se débloque enfin, et je suis rassuré d’avoir pris cette décision. Il me reste une semaine pour enregistrer des musiciens et surtout un couplet de la chanson « Humans » avec un chanteur burkinabé. Le meilleur est en train d’arriver…
1er décembre 2016 - Le premier concert a lieu au Bois d’Ebène à Bobo-Dioulasso. C’est un cabaret-concert en plein air, un peu comme tous les lieux culturels au Burkina, on privilégie le grand air. Pendant le concert, l’énergie circule bien et le public reprend avec beaucoup de joie le refrain de « Ton Etoile » en Dioula, la langue locale. On suit la set liste préparée jusqu’au moment où Saantur décide de sortir de scène parce que le concert passe trop vite selon lui, et qu’il veut gagner du temps. On se retrouve donc tous en backstage à se demander ce qu’on va bien pouvoir improviser. Issouf se propose pour jouer un morceau de flûte seul en scène. La flûte traditionnel mandingue se suffit à elle-même tellement elle est expressive. Elle se joue avec un mélange de notes, de cris et parfois de mots lâchés pendant l’improvisation. On accueille sa décision avec joie puis on retourne sur scène le rejoindre sous les applaudissements. Sur les deux derniers morceaux, le public vient danser sur scène et l’ambiance monte. Je sors content de cette première scène au Burkina. L’énergie est différente ici, plus forte. C’est toujours une joie de la sentir circuler entre les musiciens et le public. On se sent vivant ! Ça me change aussi de me retrouver à 6 sur scène après les concerts en solo à Taiwan. A la fin du show, on part au « Black », la seule rue de Bobo-Dioulasso où on peut faire la fête toute la nuit. On arrive en face d’une Jam animée par de vieux musiciens locaux. J’ai l’impression de me retrouver dans le film sur le Blues de Scorsese « Du Mali au Mississipi », faut dire qu’on est pas loin et que c’est en Afrique que tout a démarré avec la musique qu’on connait aujourd’hui. Ça joue bien. On arrive pas à rester sur nos chaises à cause du rythme. On chante et on danse jusque 3h du mat. C’est une des meilleures soirées qu’on passe à Bobo. Le lendemain, on va chercher les billets de bus à la gare pour le concert au Ptit Bazar à Ouagadougou. J’apprends dans la foulée qu’en plus de devoir payer toutes les répétitions avec les musiciens, je dois aussi payer leurs trajets. L’ambiance se dégrade un peu avec Saantur suite à l’expression de mon mécontentement. Je lui explique que mon tour du monde est planifié et que j’ai un budget pour chaque chose que j’entreprends, mais il me répond que c’est l’Afrique et que ça marche comme ça ici. J’apprends toujours tout à la dernière minute, et en tant qu’Européen c’est dure quand rien n’est organisé, et qu’en plus, on doit en payer le prix fort. Sur la scène du P’tit Bazar, le son n’est pas bon. On a du mal à s’entendre et le concert n’est pas aussi bien que le premier même si le lieu est bondé. On rentre dormir chez la mère de Saantur. Susan a la chance d’avoir un lit. Avec les musiciens, on étend 3 tapis sur le sol pour dormir. Trois petites heures de sommeil avant de reprendre le bus pour Bobo. On revient épuisé à la maison à Bobo-Dioulasso en se disant que dans quelques jours il faudra déjà se préparer pour aller à Kaya à la Fête de l’Indépendance. Une nouvelle aventure dans le nord du pays qui nous tend les bras…
Les répétitions se passent bien, à la mode africaine. Même si on se donne rendez-vous à 10h sur place, les musiciens arrivent sporadiquement entre 10 et 13h. Je commence à me dire que finalement je suis pas un gars si en retard que ça. On essaye de mélanger les chansons et celle dont je suis le plus content est “Ton Etoile”. On parvient à mélanger le français dans les couplets et le Dioula dans les refrains. Cette langue est la langue des commerçants de l’Afrique de l’Ouest et est devenue petit à petit la langue véhiculaire que tout le monde comprend et qui unit les différentes tribus depuis le Mali jusqu’en Côte d’Ivoire. “NI Ha Lo Lo Hé Abièleila” : “je vois ton étoile qui rit”. Ces paroles traduisent une partie du refrain de la chanson écrite il y a 5 ans pour ma mère. Je suis sûr qu’elle serait très honorée d’écouter ces nouvelles paroles venues d’un autre monde. Issouf Diara, le griot dont je parlais dans mes carnets précédents, amène un solo de flûte traditionnel magnifique dans ce morceau. J’espère pouvoir enregistrer une version africaine avant de repartir en Belgique mais comme rien n’est vraiment certain en Afrique, je vous conseille de venir nous voir sur scène ici ! Entre les répétitions, on trouve le temps de placer quelques visites de lieux qui valent le déplacement autour de Bobo-Dioulasso. On part donc la même journée pour les environs de la ville de Banfora, où se trouve la grande cascade, les Pics de Sindou, et le lac de Tengrela où l’on espère apercevoir des rhinocéros. Comme il n’y a pas vraiment des masses de touristes ici, il n’y a pas non plus d’agences de voyage locales qui proposent des excursions pas chères. Je me débrouille donc pour trouver une voiture qui roule et un chauffeur qui connait le coin. Celui qui nous emmène pour la balade est un ami retraité de Baoul qui nous héberge dans la maison. Il vient de la tribu des Mossis. Il est un des derniers hommes à avoir toujours les marques de sa tribu sur son visage. Il s’agit de marques faites avec une pierre tranchante sur le côté droit du visage. Chaque membre de la tribu porte un nombre de trait sur le visage. Il a huit longues marques entre la tempe et la joue. Le gouvernement à interdit il y a quelques années aux parents, de marquer leurs enfants à la naissance. Je lui demande pourquoi ces parents on fait cela, et il me répond: “Pour qu’on puisse me reconnaitre lorsque je suis avec des personnes d’autres tribus”. Les Mossis constituèrent deux royaumes importants au 15ème et 16ème siècle, appelé le royaume du Yatenga et de Ouagadougou. Il y a toujours chaque semaine à Ouagadougou, un rituel pour célébrer l’actuel souverain Mossi appelé Moro Naba qui réside dans son palais et qui bénéficie d’une certaine reconnaissance par les autorités du Burkina. Après une longue route, des paysages de brousses, des villages avec des huttes traditionnelles en paille, on arrive à la cascade de Banfora puis aux Pics de Sindou. Ce dernier est un lieu magique qui servait avant de refuges aux tribus lorsqu’elles subissaient des attaques. Ces pics ont subi une érosion depuis des millions d’années. Avant, l’océan recouvrait ces pics et à fait s’élever la roche petit à petit. On a l’impression d’apercevoir des visages à l’intérieur des pics (cfr photo). Quand on arrive sur place, il doit y avoir des guides pour nous vendre un ticket et proposer leurs services mais il n’y a personne, le lieu est complètement désert. On pénètre donc dans cette endroit qui ressemble à un véritable sanctuaire. On se déplace sans savoir où on va, puis on tombe sur un promontoire qui donne une vue majestueuse sur un village et sur la brousse. Vu le lieu et le silence, on est pas trop rassuré. Heureusement, les lions ont arrêté de fréquenter cette région il y a plusieurs années… Au centre du site, un petit autel de pierre circulaire, nous laisse présumer qu’on devait y faire des rituels. On réalise une petite vidéo avec le nouveau morceau “Voyager léger” que vous pouvez voir sur la page facebook. On voudrait même y faire un clip mais le temps nous manque et le chauffeur nous attend pour la dernière étape. Le lac de Tengrela est le lieu parfait pour finir la journée devant un coucher de soleil et des pirogues de pêcheurs. Les autorités ont malheureusement interdit aux étrangers de monter dans les pirogues car deux semaines plus tôt, plusieurs personnes ont perdu la vie en allant voir les rhinocéros. Effrayés quand les animaux de 15 tonnes sont sortis de l’eau, ils se sont levés, ont fait renversé la pirogue et se sont noyés. Avec le bon réflex européen, on se demande pourquoi ils ne donnent pas aux personnes des gilets de sauvetage mais en Afrique de l’Ouest, trouver des fonds pour des gilets, c’est très compliqué. Donc, on tente d’accepter, et de profiter du coucher de soleil qui ne nous fait pas regretter le déplacement. Le lendemain, on reprend les répétitions pour le premier concert qui aura lieu le 1er décembre au Bois d’Ebène.
14 novembre 2016 - On se laisse deux jours pour se reposer de notre arrivée en Afrique de l'Ouest et trouver nos marques à Bobo-Dioulasso. On réside dans la maison de Koto Brawa, un musicien burkinabé installé à Paris. Baoul, le frère de Koto et sa femme Rosalie nous accueille chaleureusement dans notre nouveau nid. Pour s’installer dans la maison, la condition était d’acheter des matelas. On se retrouve donc le premier jour sur le bord de la route en train de négocier 3 matelas en mousse à un commerçant. Le lendemain, après une nuit presque réparatrice, on en profite pour visiter un village traditionnel à Koro en moto. Baoul nous accompagne, il nous prête une moto à 4 vitesses sans frein avant. Je me dis que tout se passera bien tout en pensant que c’est la première fois que je conduis une moto avec des vitesses. On prend la route dans la poussière et la pollution du centre ville pour une route déserte qui mène au village. Les premiers jours dans un pays sont toujours incroyables. Le corps n’est pas encore acclimaté, et les yeux sont sollicités à outrance par la différence des paysages et des habitudes. Le village est situé sur les hauteurs et donne une vue impressionnante sur la savane. On aperçoit une incroyable variété d’arbres: baobab, acacia, acajou, arbre à karité qui poussent sur la terre rouge. Le village est désert car les habitants travaillent dans les champs, à la culture du millet, pendant la saison sèche et remontent dans le village pendant la saison des pluies. Il y a seulement deux saisons au Burkina. Les habitants sont des Bobo Fing et sont animistes. Ils croient au pouvoir des esprits et font des sacrifices la plupart du temps avec des poules pour retirer la maladie d’un villageois qui est donnée à l’animal qui est ensuite tué sur un petit autel arrondi. Il y en a partout dans le village avec des plûmes séchées qui dépassent. On découvre même un autel qui sert lorsqu’une femme accouche de jumeaux. La cérémonie permet de les protéger toute leur vie. On reprend la route de Bobo-Dioulasso et ce second tour en moto, sans casque bien-sûr, et surtout sans masque de protection me rend malade le lendemain. Saantur me dit que j’ai un rhume lié à la poussière. La plupart des étrangers qui viennent ici tombent malade à un moment ou un autre. Un rhume, de la fièvre et une douleur dans les articulations, j’ai cru que j’avais la malaria, mais le lendemain ça passe et en deux jours je suis guéri pour enfin démarrer la résidence et apprendre ces morceaux aux rythmes secrets que Saantur gère si bien. Son premier album est composé d’une dizaine de rythmes différents. On va en apprendre en 6 pour les jouer ensemble pendant les concerts ici. Il m’explique qu’au Burkina, il y a 67 tribus qui jouent chacune 2 ou 3 rythmes différents en fonction de leurs cérémonies. Les rythmes, démarrés avec le tambour, sont un moyen de communication, parfois avec les hommes, parfois avec les esprits…
La première journée sur place se remplit de courses liées à la perte des bagages. On se sent plus léger, il ne reste plus que l’appareil photo, l’ordinateur et la guitare. Juste l’essentiel pour continuer le tour du Monde en musique. On achète donc quelques sous-vêtements, 2 paires de sandales pour s’accoutumer au 40 degré local et une robe pour Susana. Je me dis que je pourrai me débrouiller les premiers jours en lavant mon t-shirt et mon pantalon en lin blanc qui a déjà pris une teinte rouge à cause de la poussière omniprésente au Burkina. Dès la tombée de la nuit, on arrive à peine à respirer. On me conseille de mettre un foulard devant la bouche. L’air est opaque, on ne voit plus l’horizon. C’est la poussière soulevée par les voitures et les motos tous les jours plus nombreuses. Dans la maison du musicien de Saantur, on passe la soirée en jouant des chansons avec tout ce qui nous reste, la guitare. Son musicien, Issouf Diara joue du balafon (instrument de percussion à résonateur, des lamelles de bois d’ébène résonnent sur des calebasses) et de la flûte traditionnelle. Il fait un mélange de notes et de cris lorsqu’il joue et ce son nous emporte dans les limbes de notre première nuit africaine. Le lendemain, on essaye de régler nos problèmes de bagages avec Brussels Airlines mais sans trop de succès. A chaque fois, la personne qui peut nous aider n’est pas sur place. Après quelques Brakina (bière locale du Burkina), on reprend la route en 4x4 vers Bobo-Dioulasso qui sera notre QG de résidence pour une vingtaine de jours. 10 jours seront consacrés à la préparation des concerts et il y aura 10 jours de création de chanson. 10 jours pour apprendre les rythmes africains, je vais devoir m’accrocher, mais je suis impatient rien qu’à l’idée de démarrer. Le 4x4 nous fait danser sur la terre rouge, Saantur roule comme un fou. 100 à l’heure sur une piste de terre, ça nous laisse à peine le temps d’observer tous les villages traditionnels qui défilent derrière nous. On s’arrête dans le village de Saantur, perdu au milieu de la brousse pour déguster un peu de bière de mil dans une calebasse. Puis on reprend la route dans les remous pendant 6 heures, le temps d’arriver épuiser à Bobo-Dioulasso, la capitale culturelle du Burkina Faso. Beaucoup de griots et de musiciens célèbres au Burkina sont issus de Bobo. De père en fils, ils jouent et transmettent les contes et la musique traditionnelle. Issouf est l’un d’eux et j’ai de la chance car il va partager de la musique avec nous et je sens qu’il sera lui aussi sur ce deuxième album…
Jeudi 10 novembre 2016 - Ce carnet est un peu spécial car quand j’ai voulu le commencer dans l’avion qui nous a emmené depuis Pékin, j’ai appris qu’un certain Donald avait gagné dans un pays pas si lointain des élections sur base de cris et d’énormités dans une société de spectacle de masse. J’ai donc commencé mon carnet comme suit :Rassembler le monde avec le voyage, la musique, une langue. Le monde a plus que jamais besoin d’unité. Voir l’autre comme une richesse, plutôt que comme une peur pour soi-même. Montrer la richesse des cultures du monde, au travers la musique est pour moi merveilleux. Retrouver la curiosité envers les autres cultures plutôt que le mépris créé par la peur et l’ignorance. On est enfermé dans un monde de l’image et ce qu’on y voit est très éloigné de ce qui se passe dans la réalité. Voyager à la rencontre d’autres cultures est pour moi une manière de dire stop à ce qu’on nous sert dans les médias ou dans les shows de télé-réalité. Je veux être acteur de ma vie sans jamais en devenir une simple spectateur. Je sais qu’en m’adressant à vous, je suis aussi prisonnier d’un spectacle mais du moins je choisis de créer le mien et d’y injecter ce qui crée du sens à mes yeux : la musique qui unit les gens du monde. Lorsque l’on voyage, on se rend compte que les gens sont partout les mêmes, avec les mêmes besoins, le même sourire intérieur et la même volonté de partager le meilleur d’eux-mêmes. Lorsque l’on découvre ça, on voudrait faire quelque chose pour chaque personne de cette terre. Continuer à voyager pour partager, donner quelque chose de soi, quelque chose de vrai qui ne soit pas juste une réaction à l’opinion des foules ou aux idées frivoles d’un quelconque parti politique.
Bref après ces dix heures d’avion, j’ai la tête bien chamboulée et pas trop reposée pour apprendre qu’on a perdu nos bagages entre la Chine et l’Afrique. Heureusement, Saantur Medah, l’artiste qui me reçoit au Burkina m’attend à l’aéroport avec un gros sourire et deux de ses amis musiciens ! Une nouvelle aventure démarre, un autre monde, le dernier du Tour du Monde en Musique. Difficile à croire que tout ce temps ait passé si vite ! 4 novembre 2016 - Trouver une adresse à pied dans les rues de Taipei n’est pas une mince affaire. Je cherche le 8 Nanjing West Road Taipei District 104 appartement 9 étage 5. Pas évident quand tout est écrit en chinois… Après 45 personnes interpellées dans la rue, je trouve l’adresse du Taiwan Bamboo Orchestra, représenté par le Maestro Mister Luo Cheng-Hun qui doit me présenter son équipe et ces étranges instruments fabriqués en bamboo. Nous arrivons avec presque 1 heure de retard et j’avoue que la première demi-heure sur place, on se demande un peu ce qu’on fait là. On assiste à un cours de Mister Luo. Il ne parle pas anglais, ni aucun de ces élèves. Pour expliquer ce qu’on est venu faire c’est vraiment galère. Bref, on s’assied et on patiente. On se dit qu’on va attendre 30 minutes avant de dire au revoir gentiment. Après un long moment, la femme de Mister Luo arrive enfin et nous explique la situation avec deux bébés dans les bras. En fait, ce n’est pas l’orchestre mais les juniors de l’orchestre qui pratiquent leur instrument. Ils ont organisé cette répétition afin de nous montrer les possibilités de l’orchestre. Un sourire arrive sur notre visage et Mister Luo se met enfin à jouer à la place des élèves. Il est impressionnant, il maîtrise tout : le bamboo marimba (voir photo ci-dessus), le Sonicboo, le bamboo xylophone, le yangqin, ... J’entends déjà tous les sons qui pourraient coller avec mes chansons. Je suis hyper heureux de cette première rencontre, où l’air de rien, on rit beaucoup. Le célèbre théoricien Paul Watzlawick a dit qu’on ne se comprend jamais à 100% dans la communication même quand on parle la même langue. Ici, avec les sourires, les gestes et la musique j’ai l’impression qu’on s’est mieux compris qu’en Belgique avec des gens qui parlent la même langue. C’est aussi la magie du voyage. Le fait de s’ouvrir plus aux autres car on sort de sa zone de confort, c’est paradoxal mais c’est ce que j’ai constaté lors de tous mes trips. Mister Luo écoute mes chansons et saisi directement ce que je veux. On se fixe un autre rendez-vous 2 jours plus tard pour travailler avec lui et la flûtiste. Je comprend rapidement qu’enregistrer l’orchestre en entier est un pari difficile avec mon studio portable. J’ai un micro, une carte son et un mac… J’enregistrerai donc séparément la flûte de bamboo et le Yangqin. Ce dernier est sans doute l’instrument qui m’a le plus surpris. Mister Luo me l’a montré rapidement entre deux autres, et j’ai su directement que cette sonorité se marierait parfaitement avec mes sons pop. J’ai publié une petite vidéo sur ma page Facebook où vous pouvez voir le maestro enregistrer sur le nouveau titre “Mon incendiaire”. Une chanson écrite en collaboration avec Izou Loris, une auteure bruxelloise magnifique qui a su mettre en mot de jolis sentiments. J’ai de plus en plus hâte de pouvoir mixer tous les sons récoltés et écouter la version finale de mes chansons qui commencent à prendre de plus en plus d’allure !!!
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